Les Chôjû-giga, le secret des emaki japonais
Au XIIe siècle, au Japon, d’intrigants rouleaux représentant des animaux dans des attitudes humaines ont été produits ; on les nomme des Chôjû-giga. Leur verve et leur finesse d’exécution en font, encore aujourd’hui, un modèle pour de nombreux dessinateurs japonais.
Au nombre de quatre rouleaux connus actuellement, les Chôjû-giga sont des emaki, c’est-à-dire des rouleaux horizontaux, et sont réalisés à l’encre sur papier. Ces rouleaux ont été peints à la fin del’époque Heian (794 – 1185), au XIIe siècle. Deux d’entre eux sont conservés au Kôzan-ji à Kyoto, et les deux autres au National Museum de Tokyo.
Les Chôjû-giga présentent une succession de scènes animées par divers animaux. Sur le détail ci-dessous, on peut observer une scène de lutte, avec des personnages— grenouilles, lapins — en plein combat. Les personnages sont dessinés avec une grande agilité du trait qui contribue à rendre ces scènes très faciles à lire. Cette iconographie amusante pose cependant de multiples questions. On ignore en effet qui a pu réaliser ces œuvres, ainsi que leur but et, contrairement aux autres rouleaux enluminés de la période, aucun texte n’accompagne ces emaki, dont les représentations sont uniques pour le XIIe siècle japonais.
L’une des hypothèses avancées est que ces rouleaux auraient une vocation satirique, ce qui pousse à attribuer ces œuvres à un atelier proche de la cour. On peut par exemple voir sur l’un de ces emaki une scène qui semble critiquer de façon assez claire les pratiques du clergé. On y trouve une grenouille assise en tailleur sur un autel, auréolée par des feuilles de bananier, qui évoque un Bouddha. Devant ce personnage, un singe fait office de prêtre. Plus loin, on retrouve un singe vêtu de la même manière, recevant de la part d’un lapin des offrandes si nombreuses que ce dernier peine à les porter. Ce type de scène tend ainsi vers une satire assez vive de la société japonaise de l’époque.
Malgré cela, il est impossible à ce jour de connaître l’intention de l’artiste ou des artistes à l’origine de ces emaki. Le style isolé de ces rouleaux n’a cependant pas été un obstacle à leur diffusion, bien au contraire ; aujourd’hui encore, les dessinateurs de manga se réclament pour beaucoup de ce trait virtuose des Chôjû-giga. Ces caricatures d’animaux, tour à tour comiques ou poétiques, continuent d’inspirer, à l’image de la récente animation d’une section d’un de ces rouleaux par le célèbre studio Ghibli.
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Julie Robin